Page 86 - Bulbul Hezar
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commanda à son grand vizir de le faire exécuter.
             Le grand vizir et les courtisans qui étaient présents se jetèrent

             aux pieds du sultan pour le supplier de révoquer l’arrêt. Le
             grand vizir prit la parole. « Sire, dit-il, que Votre Majesté me
             permette de lui représenter que les lois qui condamnent à mort
             n’ont été établies que pour punir les crimes. Les trois couches
             de la sultane, si peu attendues, ne sont pas des crimes. En quoi
             peut-on dire qu’elle y a contribué? Une infinité d’autres
             femmes en ont fait et en font tous les jours; elles sont à

             plaindre, mais elles ne sont pas punissables. Votre Majesté peut
             s’abstenir de la voir, et la laisser vivre. L’affliction dans laquelle
             elle passera le reste de ses jours, après la perte de ses bonnes
             grâces, lui sera un assez grand supplice. »
             Le sultan de Perse rentra en lui-même, et comme il vit bien
             l’injustice qu’il y avait de condamner la sultane à mort pour de
             fausses couches, quand même elles eussent été véritables,
             comme il le croyait faussement. « Qu’elle vive donc, dit-il,
             puisque cela est ainsi. Je lui donne la vie, mais à une condition

             qui lui fera désirer la mort plus d’une fois chaque jour. Qu’on
             lui fasse un réduit de charpente à la porte de la principale
             mosquée, avec une fenêtre toujours ouverte; qu’on l’y
             renferme avec un habit des plus grossiers, et que chaque
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