Page 138 - Bulbul Hezar
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heureux voyage. Mais, au milieu de ces adieux, la princesse se
souvint d’une chose qui ne lui était pas venue dans l’esprit. « À
propos, mon frère, dit-elle, je ne songeais pas aux accidents
auxquels on est exposé dans les voyages. Qui sait si je vous
reverrai jamais? Mettez pied à terre, je vous en conjure, et
laissez là le voyage. J’aime mieux me priver de la vue et de la
possession de l’oiseau qui parle, de l’arbre qui chante et de
l’eau jaune, que de courir le risque de vous perdre pour jamais.
– Ma sœur, reprit le prince Bahman en souriant de la frayeur
soudaine de la princesse Parizade, la résolution en est prise, et
quand cela ne serait pas, je la prendrais encore, et vous
trouverez bon que je l’exécute. Les accidents dont vous parlez
n’arrivent qu’aux malheureux. Il est vrai que je puis être du
nombre, mais aussi je puis être des heureux, qui sont en
beaucoup plus grand nombre que les malheureux. Comme
néanmoins les événements sont incertains, et que je puis
succomber dans mon entreprise, tout ce que je puis faire, c’est
de vous laisser un couteau, que voici. »
Alors le prince Bahman tira un couteau, et, en le présentant
dans la gaîne à la princesse: « Prenez, dit-il, et donnez-vous de
temps en temps la peine de tirer le couteau de sa gaîne; tant
que vous le verrez net comme vous le voyez, ce sera une
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